La collection de stèles discoïdales qu’abrite désormais le “cloître” de l’abbaye de Lahonce, mérite qu’on lui accorde plus qu’un regard. Ces vieilles pierres ont des choses à nous dire.
Peut-on parler de stèles basques ? Ne tournons pas en rond : les discoïdales sont connues dans plusieurs contrées européennes. Environ 90% des stèles du continent sont concentrés entre la Garonne et l’Ebre mais on en rencontre aussi en Gascogne, en Languedoc, dans la moitié nord de l’Espagne ainsi qu’au Portugal. On peut les voir notamment près d’anciennes abbayes qui, elles mêmes se trouvent le longs de certains chemins importants (vers Compostelle dit-on, mais ne prêtons pas qu’aux riches). Des spécialistes estiment que des stèles étaient utilisées pour servir de bornes le long des chemins (dans la région de Saint-Guilhem-le-Désert par exemple). D’autres disent que ces petits monuments étaient destinés aux tombes que les monastères réservaient aux voyageurs qui mouraient en cours de trajet (Sordes l’Abbaye). Une chose cependant semble évidente : la grande majorité de ces stèles sont de petite taille et peu ouvragées, généralement elles portent pour seul motif une croix à quatre branches de même longueur (croix grecque) et le plus souvent ces branches sont évasées pour former une croix “pattée” trop hâtivement appelée “croix de Malte”. Il semblerait que ce soit là les stèles les plus anciennes (avant le 16e siècle ?) ; leurs dimensions et leur traitement plutôt sommaire laissent penser que nous avons affaire à des sculpteurs “amateurs”. À partir du 17e siècle, en Pays basque seulement, on assiste au déploiement de cet art funéraire, les pierres se font plus exubérantes, ce qui dénote l’intervention de maîtres tailleurs de pierre, mais étrangement, ceux-ci ne s’inspirent pas de l’art baroque que les églises adoptent à la même époque. Tout cela semble dire que les petites stèles très frustres seraient les rescapées d’une tradition funéraire ancienne pratiquée dans une grande partie du continent ? Ne voit-on pas des stèles associées à des sarcophages de pierre sur une miniature espagnole (Huesca – 13e siècle) et dans une nécropole de Biscaye (Arguineta – 9e siècle) ?
Un monument porteur de sens. “Quand le sage montre la Lune, le naïf regarde le doigt”. Cet adage chinois peut être appliqué aux stèles discoïdales. Ceux qui cherchent à décrypter le sens des “motifs” sculptés sur une stèle, ne voient pas le symbole le plus évident. En effet, le grand message que nous adressent les stèles est le disque de pierre lui-même, car, orienté traditionnellement vers l’est, il évoque le soleil et la lumière. Tous les jours, un côté de la pierre ronde accueille l’astre solaire à son lever et suit son parcours jusqu’à midi, puis, l’autre côté assiste à son déclin et à sa disparition. La stèle discoïdale, née et utilisée en terre chrétienne, ravive la promesse de la résurrection. Par ailleurs, le disque, figure sacrée parce que parfaite, est l’expression de l’ineffable : Dieu pour les croyants, le grand tout pour d’autres, l’ineffable pour tous. Fondamentalement, une seule chose est certaine : la stèle n’est pas faite pour les défunts mais pour les vivants. Certes, elle rappelle le devoir de mémoire dû aux ancêtres, mais surtout, elle suggère l’inéluctable : nous ne sommes que de passage sur cette planète ! La pierre-soleil évoque le cycle de la vie et murmure “Memento mori ” (Souviens-toi que tu vas mourir) comme on disait jadis. Ce n’est pas une plaisanterie, c’est une invitation à vivre mieux !
Les stèles nous invitent à méditer. Nous devons retourner à la terre. Que l’on choisisse d’être inhumé ou incinéré ne change rien à cette réalité. Étrangement, l’engouement pour la crémation, soulève aujourd’hui un questionnement inattendu : qu’elle est la solution la plus écologique, la plus symbolique, la plus respectueuse, la plus quoi… en définitive ? C’est là un problème qui n’a pas lieu d’être, problème d’une société qui ne sait plus où est l’essentiel. Car l’essentiel n’est pas dans les rites, puisque les deux solutions assurent le retour à la terre et affirment le cycle de la vie. L’essentiel n’est pas non plus le monument que l’on dresse sur la tombe. L’essentiel c’est la façon d’avancer sur la route avant le repos éternel. Ce texte a été écrit au mois d’octobre 2018, la question de savoir comment reposer dans la terre me paraît moins urgente que celle des migrants qui périssent en mer en fuyant la misère et l’injustice.
Claude LABAT